« Aimez-vous les uns les autres. » Voilà bien le commandement le plus « tarte à la crème » qui soit. Celui qui, certes, a traversé les âges. Celui auquel les chrétiens se raccrochent pour vivre de l’Évangile. Et après ? Qu'a-t-il donc de si exceptionnel ? N'en avons-nous pas fait une sorte de mièvrerie morale ? De sucrerie pour enfant du caté ? Ceux qui ne sont pas chrétiens ne se réclameraient-ils pas de cet amour mutuel ? N'est-il pas, au contraire, la sagesse la plus partagée à travers toutes les cultures et toutes les civilisations ? En quoi en faire un blason, un emblème, une reconnaissance identitaire ? Heureusement, d'ailleurs, que le désir d'amour mutuel dépasse toutes les frontières physiques, culturelles et religieuses.
Exit, donc, toutes les prétentions à l'exclusivité de la vérité. Si le dernier commandement laissé par Jésus est celui de l'amour, alors il rejoint là le fond commun de toute l'humanité, nous invitant non pas à nous situer de façon supérieure ou séparée des autres, mais au contraire à nous reconnaître de cette humanité le plus profonde, la plus ordinaire, la plus simple. Celle qu'a voulu connaître Dieu lui-même en Jésus.
Rappelons-nous toutefois que l'amour dont il est question ici n'est pas un amour à l'eau de rose, un amour de bisounours et de tendresse facile. Il est de l'amour dont « le Père a aimé le Fils et dont le Fils nous a aimé. » Il est cet amour qui ne transige sur rien, qui donne tout, qui fait exister l'autre au point de s'effacer soi. Il est la confiance totale, l'abandon jusqu'au bout. Comme le Père a envoyé le Fils jusqu'au bout du chemin, comme le Fils s'est abandonné totalement sans rien garder pour lui. Folie de Dieu, a priori inaccessible aux hommes. Pierre et les disciples en font pourtant l'expérience dans le livre des Actes des Apôtres, dépassés qu'ils sont par l'action de l'Esprit de Dieu, obligés d'abandonner leurs certitudes, devant faire totale confiance à ceux qui viennent à eux, et à Dieu lui-même. « Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient Juifs d'origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l'Esprit Saint avait été répandu. » Ou quand l'amour de l'autre, dépassant toutes nos catégories préconçues, jaillit en une nouveauté inattendu qu'il nous faut accepter et même encourager. Pierre fait cette expérience. Les parents la font également vis-à-vis de leurs enfants, j'en suis sûr. A l'intérieur d'un couple également, l'amour nous pousse à cela : à accueillir l'existence de l'autre pour ce qu'il est, et à l'encourager à grandir dans cette singularité. Et ce qui est vrai – parfois à la lutte, car aimer est loin d'être le plus facile, et il a fallu en faire un commandement ! – à l'intérieur de nos relations familiale – quand le cœur et l'affection sont mis à contribution -, l'est tout autant au sein de toutes nos relations.
« Demeurez dans mon amour », dit Jésus. « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu », rajoute Saint Jean. « Dieu est amour ». Ce n'est pas uniquement la clef de lecture de toute la Bible et de toute la révélation de Dieu, c'est la clef de lecture de toute notre vie. Le fil conducteur de toute notre histoire. Aimer et être aimé. Ce qui nous cause les plus grands des tourments et ce qui nous ouvre à la joie la plus intense. Et nul, je pense, n'échappe à cette réalité. Autrement dit, dans la logique de l'apôtre Jean, nul n'échappe totalement à Dieu, puisque « celui qui aime est né de Dieu ». « En vérité, je le comprends, dit Pierre, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » Pour Dieu, point de distinction entre les hommes lorsqu'il s'agit d'aimer. Car si l'amour que nous vivons ressemble parfois à des montagnes russes, s'il devient parfois lutte de la volonté, exigence de la vérité, folie du pardon, acceptation à l'abandon, « ce n'est pas nous qui aimons en premier, c'est Dieu qui nous aime en premier. » Demeurer dans son amour, nous y loger, nous y blottir et durer dans cet amour infini, ne peut que reposer nos cœurs, nos corps et nos esprits.
Ainsi, aimer ne dépend pas de nous. En tout cas pas uniquement. Aimer en vérité nous est peut-être même impossible si nous comptons uniquement sur nos propres forces. Aimer nous vient d'ailleurs, de l'Amour même. Celui que nous reconnaissons en Jésus Christ, et qui nous choisi comme amis pour partager tout avec nous, pour « que nous vivions par lui ». « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez. »
Se laisser choisir par lui. Naître de lui. Se laisser aimer par lui. Exister par lui. Vivre de lui. Voilà la source, nous dit la Parole de Dieu, voilà la source de tout amour. Et donc de toute notre vie.
« Sirop spirituel mille fois entendu », me direz-vous ! Sûrement. Mais exigence radicale à réentendre encore, pour moi et pour chacun. Nous avons si vite fait de nous réenfermer dans nos catégories et nos sécurités, nos certitudes et nos repères de tradition.
La Parole nous invite à nous laisser rebrancher sur le Christ pour ouvrir notre horizon, dilater nos cœurs, affermir notre volonté, nous laisser envahir par sa joie, grandir dans la véritable liberté et dans la paix, sans plus aucune crispation, peur ou angoisse. Entrer dans cette amitié que Jésus veut vivre avec nous, pour apprendre toujours, et sans jamais nous lasser de tomber et de recommencer, à nous aimer les uns les autres.
Amen.
P. Benoît Lecomte
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Livre des Actes des Apôtres 10,25-26.34-35.44-48.
Comme Pierre arrivait à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine, celui-ci vint à sa rencontre, et, tombant à ses pieds, il se prosterna.
Mais Pierre le releva en disant : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. »
Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial :
il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes.
Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole.
Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu.
En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors :
« Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? »
Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils lui demandèrent de rester quelques jours avec eux.
Psaume 98(97),1.2-3ab.3cd-4.
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s'est assuré la victoire.
Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s'est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d'Israël.
La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez !
Première lettre de saint Jean 4,7-10.
Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu.
Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui.
Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 15,9-17.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.
Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour.
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.
Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.
Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres.