Étonnant prophète, que ce Jean-Baptiste. Dans le désert et auprès du Jourdain, nous le voyions dimanche dernier baptiser des hommes et des femmes venus de loin pour le rencontrer et l'entendre. Et lui passait son temps à annoncer un autre que lui, un plus grand que lui derrière lequel il devrait s'effacer. Cet autre, Jésus, il a su le reconnaître, et le désigner. Le désigner pour que ses propres disciples et tous ceux qui le voulaient, suivent désormais cet homme, Jésus. Jean s'est retrouvé seul : il avait accompli sa mission. Il se retrouve même en prison, dans l'évangile de ce jour. Et il doute. Il doute parce qu'il a annoncé la foudre, et il ne voit se manifester que tendresse et joie. Il avertissait que « la cognée était à la racine de l'arbre », que « celui qui viendrait tiendrait dans sa main la pelle à vanner et qu'il ferait brûler la paille », et ce qu'il entend de Jésus n'est que miséricorde et bienveillance. Alors évidemment, il doute : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Et Jésus de dire que « Parmi les hommes, il n'en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » Car certes, il a su reconnaître et désigner Jésus puis s'effacer. En cela, il est le plus grand parmi les hommes. Mais il s'est apparemment trompé sur la nature du messianisme de Jésus, sur le projet de Dieu, sur la mission du Christ.
Car la promesse de Dieu, la présence et l'action de Jésus, n'est qu'événement de joie. Que tout « exulte de joie », proclamait Isaïe, un autre prophète. Et la prière d'ouverture de notre célébration aujourd'hui orientait déjà notre cœur : « Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d'un si grand mystère », une prière qui a donné son nom au 3ème dimanche de l'Avent : « le dimanche de la joie ». Nous voilà ramenés à l'essentiel de notre attente et de ce que nous désirons vivre. A non pas une joie extérieure, artificielle, exubérante, mais profonde, enracinée, relationnelle. Une joie qui ne se satisfait pas du tout, tout de suite, une joie qui ne se compte pas en nombre de cadeaux ou en qualité de foi gras. Mais une joie faite de patience, d'espérance et d'endurance, disait L'apôtre Jacques. « Ne gémissez pas les uns contre les autres », disait-il encore, prenant le contre-pied des grincheux qui voudraient être arrivés avant d'être partis. La joie qui vient de Dieu, la joie du Christ, est joie de lumière et de vie, joie de donner, plus grande que joie de recevoir. Joie que l'autre vive : « Le Seigneur fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, il redresse les accablés, aime les justes, protège l'étranger. Il soutient la veuve et l'orphelin », chantait le psaume. Jésus manifeste cette réelle puissance de Dieu et la réalise: « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. ». C'est cette Bonne Nouvelle, à découvrir déjà intérieurement réalisée en nous et en ceux que nous rencontrons – un discernement qui demande parfois patience, endurance, espérance -, qui est constitutive de la vraie joie.
Et nous, où en sommes-nous de notre préparation intérieure à la fête de Noël ? En entrant dans l'Avent, nous nous disions qu'il ne faudrait pas en faire un compte à rebours, mais un temps habité où reconnaître l'action de Dieu déjà présent dans nos vies et en notre monde. Comment nous sommes-nous déjà entraînés, seul ou avec d'autres, à vivre la fraternité, l'attention, et la vigilance à cette présence de Dieu ?
Ce week-end et les jours suivants, nous allons avoir deux occasions pour concrétiser encore davantage ce projet d'Avent, ce creusé intérieur, cette disponibilité à l'accueil de Dieu en nos vies.
Ce dimanche après-midi, en nous réunissant en paroisses sœurs, nous vivrons déjà un temps d'accueil de l'autre, de reconnaissance, et de joie. Mais plus encore, nous nous poserons la questions : « Formons-nous une Église qui réchauffe les cœurs ? » Autrement dit, une Église qui n'est pas centrée sur son fonctionnement et son nombril, mais qui sait rejoindre chacun dans son humanité, pour y révéler la beauté et la joie de la présence de Dieu... A commencer par échange qui aura lieu, qui ne doit pas avoir son but en lui-même, mais qui doit nous réveiller, personnellement et communautairement, dans nos pratiques, nos présences et nos attentions. Belle façon de nous préparer intérieurement et paroissialement à Noël.
La deuxième occasion, c'est l'arrivée de la Lumière de Bethléem. Cette lumière, allumée cette semaine dans la grotte de la Nativité à Bethléem, vient nous rejoindre en Charente. Elle est signe de paix, de fraternité, de joie dans un monde divisé, inquiet, fragile. Cette lumière elle-même est fragile, mais d'une fragilité toute autre : d'une fragilité qui vient réchauffer notre humanité parfois refroidie ou asséchée. D'une fragilité qui dit la douceur et la tendresse des liens, d'un sourire, d'une poignée de mains, d'un baiser, d'une caresse. Elle dit une présence, au-delà de toute présence, à celui qui est seul – et chacun de nous peut se trouver seul face à la vie, sa complexité et ses épreuves -. Cette lumière, nous allons pouvoir la partager à tous ceux qui ont besoin d'un peu de chaleur et d'amitié... autrement dit, à tous ! Qu'elle nous aide à sortir de nous-mêmes et à aller frapper à la porte de celles et ceux que nous n'osons pas rencontrer ! Qu'elle nous aide, déjà, à devenir un peu plus une Église qui réchauffe les cœurs !
Jean-Baptiste a douté dans sa prison, parce qu'il s'était trompé de prédication. Que nous ne nous trompions pas, nous non plus, en nous préparant à Noël et en parlant de Dieu et de sa venue. Que celui que nous attendons et que nous annonçons soit vraiment le Dieu de la joie qui fait voir les aveugles, entendre les sourds, marcher les boiteux et ressusciter les morts. Et que notre annonce de cette joie sois non seulement en mots, mais aussi en actes, en présences, en attentions, en bienveillance... Alors notre cœur, notre être, et toute notre existence, déjà, se préparera à accueillir l'enfant qui nous donne toute sa joie, la joie de Dieu qui aime tous les hommes.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Livre d'Isaïe 35,1-6.10.
Le désert et la terre de la soif, qu'ils se réjouissent ! Le pays aride, qu'il exulte et fleurisse,
qu'il se couvre de fleurs des champs, qu'il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et de Sarône. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.
Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,
dites aux gens qui s'affolent : « Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. »
Alors s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds.
Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. L'eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides.
Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur, ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s'enfuiront.
Psaume 146(145),7.8.9ab.10a.
Le Seigneur fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.
le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.
Le Seigneur protège l'étranger.
Il soutient la veuve et l'orphelin,
D'âge en âge, le Seigneur régnera !
Lettre de saint Jacques 5,7-10.
Frères, en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. Voyez le cultivateur : il attend les produits précieux de la terre avec patience, jusqu'à ce qu'il ait fait la première et la dernière récoltes.
Ayez de la patience vous aussi, et soyez fermes, car la venue du Seigneur est proche.
Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte.
Frères, prenez pour modèles d'endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11,2-11.
Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples :
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez :
Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.
Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! »
Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu'êtes-vous allés voir au désert ? un roseau agité par le vent ?. . .
Alors, qu'êtes-vous donc allés voir ? un homme aux vêtements luxueux ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois.
Qu'êtes-vous donc allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu'un prophète.
C'est de lui qu'il est écrit : Voici que j'envoie mon messager en avant de toi, pour qu'il prépare le chemin devant toi.
Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n'en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.