Ce qui nous réuni ici ce matin, de tous les horizons et de tous les âges, ce ne sont pas des reliques : c'est le Christ. Jésus. C'est lui qui nous a fait sortir du lit, affronter le froid et venir jusqu'ici. Mais ce matin, peut-être, le Christ est passé par Sainte Thérèse, dont nous accueillons les reliques. Étrange pratique, disent certains, une pratique dans laquelle d'autres se retrouvent et qu'elle aide à prier. Tant mieux, parce que c'est le but : le reliquaire n'a pas son but en lui-même, Sainte Thérèse non plus : au contraire, elle a voulu par sa courte vie nous inviter à entrer dans l'amitié avec Jésus sans jamais avoir peur ni de lui, ni de nous.
Car il nous arrive d'avoir peur de nous, comme dans les textes que nous venons d'entendre. Dans la première lecture, un général est atteint de la lèpre. Dans l'évangile, ce sont dix lépreux que nous croisons. Rappelons-nous ce que signifie avoir la lèpre, cette maladie de la peau et des membres : c'est être dans le péché, c'est être condamné à ne pas pouvoir parler aux gens, à être tenu à distance.
Il y a les lèpres des personnages de la Bible, et il y a nos lèpres. Ce qu'on cache. Ce dont on a honte. Ce qui nous déshumanise. Ce qui est marqué en nous par le péché... Ce dont on ne peut parler (à tord ou à raison) mais avec quoi il nous faut vivre. La lèpre ronge la peau comme il arrive que des lèpres nous rongent l'existence... à nous rendre, croyons-nous, infréquentables. Ces lèpres, elles sont personnelles, familiales. Mais elles marquent plus largement encore nos structures, nos organisations, nos déséquilibres économiques... Elles rongent l'humanité jusque dans sa dimension collective. Et rien ne semble possible, à vue humaine, pour transformer les choses, pour renverser la donne, pour faire advenir enfin ce que l'on n'attend parfois plus. Qui ne rêve pas d'un monde meilleur, plus simple, plus sain, sans savoir par quel bout commencer, quel levier manœuvrer ? Qui ne ressent pas ce sentiment d'impuissance devant ces lèpres si multiples ?
Mais le Christ lui-même s'approche. Il fait le chemin, « marchant vers Jérusalem », à travers nos Samaries et nos Galilées, nos terres étrangères et nos terres païennes, et nous rejoint. Et c'est là, devant nous, en nous, qu'il vient manifester sa puissance de vie, la puissance du Dieu d'Israël. Ce qui était mort est vivant, ce qui était pourri est rendu pur, ce qui était voué à être rejeté est réhabilité. Merveilleuse puissance de résurrection et de pardon, de guérison et de relèvement. Si nous savons l'accueillir, peut-être même la demander : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
C'est l'expérience que découvre et partage Sainte Thérèse. Elle qui voulait devenir sainte mais se lamentait de ne pouvoir faire de grandes choses (on croit toujours qu'il faut faire des choses extraordinaires pour devenir saint), a découvert qu'il suffisait de se laisser rejoindre par Dieu dans sa petitesse, pour le laisser la sauver, lui donner sa vie, la pardonner et la faire vivre avec Lui.
C'est l'expérience que font aussi les dix lépreux dans l'évangile. Pourtant, un seul revient sur ses pas pour rendre grâce à Jésus et rendre gloire à Dieu. Et après tout, peu importe le nombre, le ratio. Nous comptons, mais Dieu ne compte pas : il donne, il offre son salut et sa force. Peu importe le nombre, c'est le geste de celui qui revient qui est important. Il a découvert un trésor, Le trésor : Jésus-Christ. « Il est ressuscité d'entre les morts, voilà mon Évangile », clame saint Paul depuis sa prison, « enchaîné comme un malfaiteur. » « Mais on n'enchaîne pas la parole de Dieu ! » Elle traverse les murs de pierres et les murs de chairs. Elle se fraye un chemin par les interstices de nos fêlures. Elle vient guérir en nous ce qui est blessé, pourvu que nous acceptions de la laisser passer.
Et notre vie peut en être transformée. Sauvée, même. Transfigurée. Renouvelée. Comment, dès lors, ne pas, avec l'ancien lépreux, revenir à Jésus et lui rendre gloire ? Comment ne pas crier autour de nous la puissance de Dieu, sa douceur et sa miséricorde ?
Lorsque j'étais jeune, on m'avait donné une image qui m'a accompagné très longtemps et qui m'a beaucoup interrogé. Sur cette photo d'une jeune fille en méditation dans la lumière, une phrase : « Proclame ce que tu as reçu ». Ne serait-ce pas là le sens de notre mission de disciples du Christ - c'est-à-dire avant tout de gens qui ont été touchés dans leur profondeur par la puissance du Christ - ? Souviens-toi de ce que tu as reçu. De vie. De présence. De soutien. De force. Et proclame-le !
En ce premier jour de la semaine missionnaire, il est bon de nous rappeler d'une part que nous sommes tous missionnaires, et d'autre part ce qu'est la mission aujourd'hui. Si, en des temps lointains mais qui ont marqué notre imaginaire collectif, la mission était perçue comme l'évangélisation à coup de violence parfois des peuples isolés de l'emprise de la chrétienté, la situation d'aujourd'hui est toute autre. Bien au contraire de la violence et de la force, c'est d'un baume de tendresse et de pardon que l'homme de notre temps a besoin. Non pas pour accepter tout ce qui se vit, mais pour rappeler la tendresse et le pardon de Dieu qui nous invite toujours et inlassablement à la conversion des cœurs et des vies. C'est à la fraternité que nous vivons entre nous et avec ceux que nous rencontrons, que notre Dieu sera reconnu comme le vrai Dieu. C'est parce que nous serons capables peut-être pas de guérir, mais au moins d'aimer, au nom de Jésus Christ et de son Évangile, ceux qui sont malades de nos lèpres humaines, que l'homme entendra l'appel qui lui est lancé, à faire de toute sa vie une action de grâce à la louange de Dieu. Ce n'est pas de missionnaires arrogants et sûrs de leur doctrine, dont notre monde a besoin, mais d'hommes et de femmes qui se savent aimés de Dieu bien au-delà de leurs mérites, et qui savent vivre de cet amour à travers les liens simples et fraternels du quotidien – sûrement Sainte Thérèse et son expérience de sa vie au Carmel peut-elle nous apprendre beaucoup de choses en ce domaine.
Vraiment, le Christ ne regarde pas nos mérites religieux ou nos conformités à la règle: ce ne sont que des étrangers qui sont guéris... Il vient regarder le corps du lépreux, le cœur de tout homme. Et son simple regard, sa simple parole nous relèvent. Et tout homme est invité par Dieu à entrer dans ce mystère d'amour et de relèvement. C'est de cette Bonne Nouvelle que nous devenons porteurs et que nous pouvons transmettre à notre tour, autant que recevoir des autres. Pour que de tous les horizons et même par quelques voix seulement, une seule clameur monte vers le Père, pour que de toutes les nations on rende gloire à Dieu, pour que toute notre humanité devienne action de grâce, eucharistie à la gloire du Père. C'est la mission de notre Église, dans le mystère de notre humanité déjà sauvée.
Amen.
P. Benoît Lecomte
Deuxième livre des Rois 5,14-17.
Le général syrien Naaman, qui était lépreux descendit jusqu'au Jourdain et s'y plongea sept fois, pour obéir à l'ordre d'Élisée ; alors sa chair redevint semblable à celle d'un petit enfant : il était purifié !
Il retourna chez l'homme de Dieu avec toute son escorte ; il entra, se présenta devant lui et déclara : « Je le sais désormais : il n'y a pas d'autre Dieu, sur toute la terre, que celui d'Israël ! Je t'en prie, accepte un présent de ton serviteur. »
Mais Élisée répondit : « Par la vie du Seigneur que je sers, je n'accepterai rien. » Naaman le pressa d'accepter, mais il refusa.
Naaman dit alors : « Puisque c'est ainsi, permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays autant que deux mulets peuvent en transporter, car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d'autres dieux qu'au Seigneur Dieu d'Israël. »
Psaume 98(97),1.2-3ab.3cd-4a.6b.
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s'est assuré la victoire.
Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s'est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d'Israël.
La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
acclamez votre roi, le Seigneur !
Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,8-13.
Souviens-toi de Jésus Christ, le descendant de David : il est ressuscité d'entre les morts, voilà mon Évangile.
C'est pour lui que je souffre, jusqu'à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n'enchaîne pas la parole de Dieu !
C'est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu'ils obtiennent eux aussi le salut par Jésus Christ, avec la gloire éternelle.
Voici une parole sûre : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons.
Si nous supportons l'épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera.
Si nous sommes infidèles, lui, il restera fidèle, car il ne peut se rejeter lui-même.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17,11-19.
Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
En les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés.
L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c'était un Samaritain.
Alors Jésus demanda : « Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ?
On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n'y a que cet étranger ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. »